dimanche 10 février 2008

SAVOIR TOUJOURS RAISON GARDER…

Ca y est : les lampions de la CAN 2008 viennent de s’éteindre, et honni soit qui mal y pense, il aurait relevé du miracle si le Sénégal n’avait ne serait que joué la finale (pour ce qui est de gagner, n’en parlons même pas !). Mais pour autant, l’élimination de nos Lions (fort domptables ?) a été une fois de plus vécue comme un drame national par bien des Sénégalais, lesquels, en dépit de tout bon sens (qui, parait-il, est pourtant la chose la mieux partagée sous d’autres cieux), s’obstinent à croire que le sort de notre Nation se joue sur un tout petit rectangle vert. A défaut d’avoir gagné la CAN, les Sénégalais peuvent néanmoins se consoler et se dire qu’ils restent les champions incontestables et incontestés (non pas de la seule Afrique mais du monde entier) de l’inconstance. Ceux qui, aujourd’hui, vouent aux gémonies l’équipe nationale de football sont les mêmes que ceux qui, hier, affirmaient péremptoirement que notre équipe était l’une des meilleures du continent. Ceux qui, il y a deux ans, assimilaient l’échec du duo Ablaye Sarr / Amara Traoré à l’incompétence de l’(in)expertise nationale sont également les mêmes que ceux qui, aujourd’hui, tirent à boulet rouge sur les « sorciers blancs ». Enfin, ceux qui, hier, s’offusquaient des faibles moyens que, jadis, l’Etat mettait à la disposition de nos vaillants « gaïndés », ces soldats de l’époque moderne, sont ceux là mêmes qui, aujourd’hui, dénoncent d’une façon fort douteuse (car c’est seulement l’élimination prématurée de notre équipe qui les amène à parler de la sorte) l’investissement massif en faveur du football (c’est parait-il presque 2 milliards de F CFA qui ont été mobilisés par la campagne du Ghana).

Pour ma part, ce que je retiens de toutes ces péripéties footballistiques, c’est qu’au final, il y a quelque chose d’inquiétant dans le rapport qui s’est aujourd’hui insidieusement installé entre le peuple sénégalais et son football. Et cela transparaît d’ailleurs de façon symptomatique dans les excès qui ont accompagné le lynchage médiatico-populaire de El Hadj Diouf et Tony Sylva. Sans vouloir le moins du monde excuser ces derniers, je ne m’explique néanmoins pas comment un événement qui, somme toute, relève du petit fait divers, a-t-il pu « dégénérer » au point d’être au centre de l’actualité nationale, comme si le sort du Sénégal, au delà du seul football, en dépendait. Et que dire de la force des arguments invoqués, et notamment de ces fameux verres d’alcool, à partir desquels est parti la grosse tempête ! Bon Dieu, il est donc des sénégalais, footballeurs de surcroît, qui boivent de l’alcool, ont donc semblé s’offusquer certains, lesquels oublient tout simplement d’une part que Tony Sylva est dans son droit le plus absolu (puisqu’il est catholique) et d’autre part qu’El Hadji Diouf doit sa carrière et sa sélection non à la pureté de son âme, mais plutôt à celle de son pied droit. Qu’on me comprenne bien : je trouve inadmissible que des joueurs se fassent la belle 48h avant un match aussi décisif. Mais pour moi, peu m’importe ce qu’ils ont dans leur verre, et auraient-ils donc pris l’eau la plus pure que cela n’aurait en rien dilué mon jugement. Mais bon, passons…

Toutes ces appréciations excessives et ces jugements à l’emporte-pièce, je le crois, sont assurément révélateurs de la passion démesurée et du manque de recul notoire qui caractérise bien des Sénégalais dès lors qu’il s’agit de football. Par exemple, depuis l’élimination de notre équipe, on ne cesse de rappeler, statistiques à l’appui, que c’est la première fois qu’on participe à une CAN sans la moindre victoire, et bien évidemment, l’objectif visé par de tels propos est tout simplement de discréditer la bande à El Hadji Diouf, en la présentant comme la moins méritante de toute notre histoire footballistique. On ne peut que déplorer une telle sélectivité de notre mémoire, car en vérité, cette génération aujourd’hui victime de toutes les railleries reste à ce jour non seulement la seule de notre histoire à avoir aligné 5 participations successives à la CAN (2000, 2002, 2004, 2006, 2008), mais aussi celle dont le bilan reste le plus élogieux (quart de finaliste de la coupe du monde, finaliste de la CAN).

Mais au fond, l’essentiel est ailleurs, et il n’est surtout pas dans ces débats stériles et dans ces titres vindicatifs de la presse. Je crois en effet que le débat qui se pose aujourd’hui est loin d’être seulement sportif. Le football n’est pas une science exacte, ce n’est qu’un jeu – et rien que cela – et à ce titre, les résultats le sanctionnant ne peuvent être qu’aléatoires. Je suis pour ma part quelque peu gêné de constater que le débat ne semble aujourd’hui se poser que parce que les résultats escomptés (c'est-à-dire la victoire) n’ont pas été au rendez vous. Or en cela, le problème est mal posé, et assurément, il ne saurait y avoir de bonne réponse à une mauvaise question. Le seul débat qui aujourd’hui doit se poser ne dépend en rien de ces résultats sportifs, quels qu’ils aient été, et le Sénégal aurait-il d’ailleurs gagné la CAN que cela n’y aurait rien changé. Ce débat, je puis le résume en une seule question : le football, pour quoi faire ?

Le football, partout au monde, est d’abord un jeu, même s’il arrive que parfois, il se transforme en une activité économique (cf. championnats professionnels). Mais dans ce dernier cas, il s’agit toujours d’une activité privée (les clubs étant tout simplement des entreprises). De ce point de vue, même si l’Etat peut intervenir de différentes façons (réglementation, subventions, etc.), il ne lui appartient toutefois pas d’être le grand argentier du football, car tant que les choses veulent dire ce qu’elles veulent dire, il ne s’agit pas ici d’une de ses missions régaliennes. Or qu’observe-t-on de ce point de vue au Sénégal ?

Depuis plus d’une décennie, l’Etat verse dans les excès les plus incompréhensibles, et si la continuité de l’Etat signifie bien quelque chose, c’est certainement par rapport au financement du football que cette continuité à été la plus forte, tant il est vrai que de ce point de vue, l’Etat post-Alternance se distingue peu de l’Etat pré-Alternance. Je serais bien curieux d’avoir les chiffres exacts en ce qui concerne l’investissement total de l’Etat dans le football au cours de toutes ces dernières années, quand on sait qu’une CAN coûte approximativement 2 milliards F CFA, que l’entraîneur national est toujours grassement payé, que les nombreux déplacements des joueurs (et de leur encadrement ô combien pléthorique) sont pris en charge presque intégralement par l’Etat (l’avion présidentiel est d’ailleurs très souvent réquisitionné à cet effet), que des hôtels de luxe sont réquisitionnés partout où passe nos Lions, et j’en omets… Au delà des montants, la répartition des dépenses de l’Etat dans ce domaine pose également problème, car que reste-t-il aujourd’hui de tout cela ? Assurément, tout est parti en fumée, car plutôt que de financer par exemple des infrastructures ou le développement du football à la base (petites catégories, clubs, etc.), l’Etat a choisi de mettre ses billes dans des dépenses irrécupérables, et donc perdues à jamais (quels qu’aient d’ailleurs été les résultats).

Indépendamment de tout cela, il s’y ajoute que notre pays, et on l’oublie un peu trop souvent, est un des pays les moins avancés du monde (PMA), ce qui signifie que sous nos cieux, et il ne faut jamais l’oublier, il ne fait pas tellement bon vivre, tant les besoins élémentaires des individus (santé, éducation, accès à l’eau, nutrition, etc.) ont du mal à y être satisfaits. Dans ces conditions, du point de vue autant de l’éthique ou de la morale que de l’allocation optimale des ressources, il y a quelque chose d’incompréhensible dans ce déversement par l’Etat de milliards de nos francs dans le football. Le général Eisenhower, parlant des canons, des vaisseaux de guerre et des missiles de guerre, les assimilaient en fin de compte « à un vol au détriment de ceux qui ont faim et n’ont pas à manger, de ceux qui ont froid parce qu’ils ne sont pas suffisamment vêtus ». Toutes proportions gardées, la même assimilation peut être faite en ce qui concerne ces milliards de francs déversés par notre Etat dans le football, car ici aussi, que de gaspillage et de gâchis !

Je sais bien qu’au fond, si l’Etat est si prompt à dégainer pour le football, c’est aussi et peut être même surtout pour répondre à une forte demande sociale, étant donné la passion démesurée qui s’est emparé des sénégalais dans ce domaine. Mais pour autant, sans idéaliser l’Etat (la théorie économique des choix publics ne met-t-elle pas en doute à la fois la capacité et la volonté des pouvoirs publics de servir le bien public ou l’intérêt général ?), n’est-il pas, malgré tout, des limites qu’un Etat responsable ne se doit jamais de franchir ? Bien vrai que les peuples, comme le disait Cesar, ont besoin de pains et de jeux, il n’en demeure pas moins que les jeux, sans le pain, sont un luxe criminel. Il est donc tout simplement scandaleux que l’Etat du Sénégal mette tant de milliards dans le football alors que les hôpitaux sont dans un dénuement total (au point d’être devenus des mouroirs menant tout droit vers le cimetière), que les écoles et universités manquent de tout (au point d’être devenu de simples garderies d’adultes), que des milliers de sénégalais ne mangent pas à leur faim, que le désespoir est si grand chez de nombreux jeunes qu’ils n’ont plus d’autre choix que d’aller s’offrir à la mer au péril de leur vie, etc. Qu’est ce qui, par ailleurs, justifie que des millions de francs soient versés sous forme de primes à des joueurs déjà grassement payés par leurs clubs (à la limite, je n’aurais pas trouvé à redire si ces primes avaient été versés uniquement à de joueurs locaux, non professionnels donc…) ? Comment expliquer qu’en 2008 encore, près de 300 ans après ce qui fut chez d’autres le Siècle des Lumières, on continue à s’enfermer dans les méandres de l’obscurantisme au point de mobiliser une grosse armada de sorciers-charlatans, comme si la victoire finale était à chercher au bout de leurs chapelets et non à celui des godasses de nos joueurs (si l’on en croit la presse, plus d’une cinquantaine de ces sorciers-charlatans ont été embarqués dans les bagages de l’équipe nationale) ?

Voila me semble-t-il les seules questions auxquelles nous nous devons aujourd’hui d’apporter des réponses, si l’on veut « transformer nos pertes en profits ». La question n’est donc pas de savoir si oui ou non El Hadj Diouf et Tony Sylva doivent être exclus de l’équipe, si oui ou non il faut jeter le bébé avec l’eau du bain, ou encore si un entraîneur national doit être préféré à un expatrié. Soyons constructifs que diable, et tant qu’à se quereller, autant opter pour les grandes querelles, celles qui permettent d’aller de l’avant et d’être mieux paré face aux nombreux défis qui nous assaillent. « I have a dream », disait Martin Luther King. Moi aussi, j’ai un rêve : l’émergence d’un Sénégalais de type nouveau, qui ne verse plus dans les « tiakhaneries ». L’espoir est-il permis ? L’avenir nous édifiera.